À Gérard Bouchard (UQAC, Chicoutimi) . Chicoutimi, Ville de Saguenay, le 14 novembre 2004. [Avec l'autorisation de l'auteur de diffuser cet articles accordée le 30 novembre 2004] [Débat sur le déplacement de l'obélisque, monument érigé à Chicoutimi à la mémoire de de William Evan Price le 24 juin 1882]
Nous [les Canadiens français] ne sommes quune poignée, cest vrai, mais nous comptons pour ce que nous sommes et avons le droit de vivre.
Henri Bourassa
Chicoutimi, le 14 novembre 2004
Cher ami,
Par la plume d'Yvon Paré, je viens tout juste d'accueillir la sortie de votre tout dernier (La pensée impuissante, que vous situez entre 1850 et 1960), fraîchement sorti des presses du Boréal. Les mots tirés du bouquin par le thuriféraire qui en fait l'éloge, annoncent déjà beaucoup ! Et ce que j'en ai tiré de ma propre lecture confirme ses apories. À la lueur de mon propre saisi et du papier de Paré, qui vous rend grâce d'avoir en quelque sorte fait le tour de cette pensée équivoque, je ne peux que constater, encore une fois et malgré votre assurance, toujours cette confusion des genres que vous entretenez entre les Canadiens français, que vous faites mourir, cette fois-ci, à la Révolution tranquille, et les francophones, que vous conjuguez à tous les temps. Ce qui est loin d'être à l'avantage de ce qu'on pourrait qualifier de limpidité sémiologique quand on jette un regard le moindrement critique sur l'ensemble de votre oeuvre où le mot Canadien français devient un mot archaïque, dégradant, suspect!
Pourquoi les francophones de souche devraient-ils s'inquiéter de ce modèle de la culture québécoise, comme francophonie nord-américaine circonscrite par la langue, livrée aux interactions entre ses composantes et ouvertes à toutes les expériences du continent? Qu'ont-ils donc à y perdre, sinon une conception trop prudente, un peu figée même, de leurs appartenances et du destin de la culture francophone au Québec? Faut-il vraiment s'inquiéter de ce que le glissement proposé, de Canadien français à francophones québécois [constatons le passage du C majuscule au f minuscule] étende l'identité des premiers en l'insérant dans un ensemble culturel où ils demeurent largement majoritaires mais qui est défini avant tout par un critère strictement linguistique?
Si vous avez oublié, moi pas! C'est écrit en toutes lettres, page 69, dans votre pamphlet sur La nation québécoise au futur et au passé, publié en 1999 chez VLB. Une tache d'encre dans la descente aux enfers (lire la perte d'identité) du Québec de cette fin de millénaire; un Québec qui s'est laissé entraîné dans des sentiers conceptuels sans issue ; un Québec amnésié par ceux-là même qui prétendent à l'éveil; un Québec qui, un peu beaucoup grâce à ses faux prophètes, a perdu ses racines, son identité, ses points de repères et ce qui, par l'histoire, le rattache à sa culture, sous prétexte qu'il lui fallait s'ouvrir à l'américanité (lire s'assimiler dans la culture étatsunienne, répudier son drapeau au profit de la bannière étoilée). C'est affreux !
Si j'ai bien compris la dernière leçon, à travers l'échec de la pensée des Buies, Nevers, Montpetit, Groulx, et tous ces autres que vous amenez à témoigner a contrario de ce que vous avez déjà écrit, ces penseurs d'un autre siècle voyaient alors le Québec dans la Confédération (grosse découverte !), mais cette acceptation ne les empêchait pas de voir la menace pesant en parallèle sur les francophones (sic). Et, eu égard à ce que vous avez découvert au cours de votre enquête sur ces penseurs qui ont soi-disant raté leur coup, vous restez très sensible aux conditions de vie du peuple francophone au début du siècle dernier. Ce qui devrait nous rassurer de suite sur vos intentions réelles ainsi inscrites en filigrane de votre propos, et ce qui nous reporte à l'aube du XXe, à un temps de notre histoire où, justement, le terme francophone (même avec un f minuscule), pardonnez ma dissidence, sommeillait encore dans les limbes.
De fait, ces penseurs d'un autre siècle, parlent bien des Canadiens français, au même titre qu'ils évoquent la présence des Écossais, des Acadiens, des Indiens (Sauvages), mais je n'ai pu trouver un seul endroit de leur uvre respective (ni dans Desrosiers d'ailleurs, ni dans Fournet, ni dans Vattier, ni dans Bovey, ni dans Braco, ni dans Brunet, ni dans Hamon et combien d'autres ma foi qui ont été négligés dans votre analyse) ; je n'ai pu y trouver, dis-je, ni chez l'un ni chez l'autre, un seul endroit où on s'adonne à faire l'apologie de ce peuple... Francophone (avec un F majuscule dans votre dernier bouquin), comme celui dont vous annoncez l'existence à défaut d'en prévoir l'avènement. L'historien qui s'intéresse à cette question existentielle et qui pense tout le contraire de vous, pourrait, ainsi, apporter des centaines de citations prouvant votre errance tout en étayant sa propre démonstration.
Mais là n'est pas la question ; il s'agit plutôt, et le plus simplement du monde, de prendre nos distances de cette dérive du bateau fantôme dont vous êtes le capitaine, en supposant toutefois que la raison puisse un jour se réinscrire dans l'itinéraire de ce foutu pays qui reconnaît officiellement l'existence des Acadiens, des Canadiens-anglais, des Néo-Écossais, des Métis, des Indiens, des Inuits (ce qui est fort bien), mais qui s'applique à nier l'existence historique et la présence politique actuelle de ce peuple-fondateur auquel appartient le Canadien français, ce peuple d'où vous tirez votre propre bulletin de naissance, ce peuple qui a fait ce que vous êtes aujourd'hui et que vous enterrez dans tous vos écrits.
Avec la retenue que seule la sagesse de l'âge permet, je vous prie de me croire bien sincèrement si je vous dis que j'entends être, rester, demeurer avec toute la fierté que cela impose,
Russel Bouchard Métis d'ascendance canadienne-française et montagnaise
P.-S. Ah oui ! j'oubliais presque. Félicitations pour les photos de l'auteur ; le photographe, Rocket Lavoie, a fait du beau travail. Il faudra l'en féliciter. Le sourire est radieux ; il témoigne de la vénérabilité de l'âge de l'auteur. À porter au dossier de l'histoire... dont la photo de la une du Cahier Art-Télé (B-1), montrant l'auteur professoralement attablé dans son bureau de travail, avec, en arrière-plan, une bibliothèque rangée avec autant de souci que de méthode, bibliothèque éclectique où flotte d'ailleurs, seul et bien en vue, un joli drapeau américain, lequel devient vite une évidence vu l'absence des drapeaux canadien et québécois (francophone!)...
P.-S (2). J'ai eu l'occasion d'écouter et d'enregistrer ton intervention sur le monument Price, à l'émission de Myriam Segal, 17 novembre. Sur le plan historique, t'as eu tout croche!
Pour un, ce monument n'a pas été érigé, comme tu le confirmes, en 1888 ou 1885, mais en 1881-1882.
Pour deux, il n'a pas été élevé pour honorer la mémoire de la famille Price comme tu l'as encore souligné, mais bien celle de William Evan Price, mort à Québec le 12 juin 1880 et considéré par les Chicoutimiens parmi lesquels il ne comptait que des amis. Les autres noms ont été rajoutés par la suite et ont semé cette confusion dont tu t'es fait le dernier écho.
Pour trois, ce n'est pas la famille Price qui a payé le monument, mais bien un groupe de... Canadiens français du Saguenay auxquels s'étaient associés évidemment quelques rares anglophones bien établis chez nous : le conseil de direction du comité du monument Price était alors composé comme suit: Ovide Bossé, président, Olivier Lachance, vice-président, Édouard Savard, secrétaire, et B.A. Scott, trésorier. Autre fait d'histoire particulièrement troublant: ce monument a été inauguré, imagine, le 24 juin 1882, dans les liesses populaires, et pour lui donner toute la place, la procession traditionnelle fut cancellée.
Pour te convaincre de la véracité de ces faits, il te suffit de lire les extraits du journal intime de Jean-Baptiste Petit, publié dans La vie quotidienne à Chicoutimi au temps des fondateurs, tome 1. Tout est là! Impossible à répudier. De la plume vibrante d'un témoin oculaire.
Russel Bouchard [citoyen libre et historien professionnel, Chicoutimi], À Sylvain Gaudreault (Laterrière) . Chicoutimi, Ville de Saguenay, le 25 novembre 2004. [Avec l'autorisation de l'auteur de diffuser cet articles accordée le 30 novembre 2004] [Débat sur le déplacement de l'obélisque, monument érigé à Chicoutimi à la mémoire de de William Evan Price le 24 juin 1882]
Russel Bouchard [citoyen libre et historien professionnel, Chicoutimi], À Carol Néron (Le Quotidien, Chicoutimi) . Chicoutimi, Ville de Saguenay, le 22 novembre 2004. [Avec l'autorisation de l'auteur de diffuser cet articles accordée le 30 novembre 2004] [Débat sur le déplacement de l'obélisque, monument érigé à Chicoutimi à la mémoire de de William Evan Price le 24 juin 1882]
Russel Bouchard [citoyen libre et historien professionnel, Chicoutimi], À M. Jean Tremblay (Maire, Ville de Saguenay) . Chicoutimi, Ville de Saguenay, le 21 novembre 2004. [Avec l'autorisation de l'auteur de diffuser cet articles accordée le 30 novembre 2004] [Débat sur le déplacement de l'obélisque, monument érigé à Chicoutimi à la mémoire de de William Evan Price le 24 juin 1882]
Russel Bouchard [citoyen libre et historien professionnel, Chicoutimi], Le monument Price, un cadavre qui pue l'eau bénite empoisonnée ! Réplique à la lettre ouverte de Gérard Bouchard, publiée dans Le Quotidien du 20 novembre 2004, sous le titre "Déménagement du monument Price, une opération mal inspirée et humiliante". Chicoutimi, Ville de Saguenay, le 20 novembre 2004. [Avec l'autorisation de l'auteur de diffuser cet articles accordée le 30 novembre 2004] [Débat sur le déplacement de l'obélisque, monument érigé à Chicoutimi à la mémoire de de William Evan Price le 24 juin 1882]
Dernière mise à jour de cette page le samedi 26 avril 200817:49 Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
×
À tous les utilisateurs et les utilisatrices des Classiques des sciences sociales,
Depuis nos débuts, en 1993, c'est grâce aux dons des particuliers et à quelques subventions publiques que nous avons pu mener à bien notre mission qui est de donner accès gratuitement à des documents scientifiques en sciences humaines et sociales de langue française.
Nous sollicitons votre aide durant tout le mois de décembre 2020 pour nous aider à poursuivre notre mission de démocratisation de l'accès aux savoirs. Nous remettons des reçus officiels de dons aux fins d'impôt pour tous les dons canadiens de 50 $ et plus.
Aidez-nous à assurer la pérennité de cette bibliothèque en libre accès!
Merci de nous soutenir en faisant un don aujourd'hui.
Jean-Marie Tremblay, fondateur des Classiques des sciences sociales