Elsevier

Archives de Pédiatrie

Volume 20, Issue 9, September 2013, Pages 1000-1005
Archives de Pédiatrie

Mise au point
Soins palliatifs du nouveau-né et culturesNeonatal palliative care and culture

https://doi.org/10.1016/j.arcped.2013.06.022Get rights and content

Résumé

La période de soins palliatifs est une période difficile pour les parents et les soignants car tous sont fragilisés par la proximité de la mort. Les difficultés sont d’une part que, du fait de la différence religieuse et culturelle, les parents et les familles ne puissent exposer leurs croyances ni élaborer les rituels requis, et d’autre part qu’il en résulte des conflits entre l’équipe et la famille avec des conséquences dommageables pour l’une et l’autre. Le souci des soignants est donc de permettre aux croyances religieuses et aux exigences culturelles de s’exprimer car on pressent qu’elles favorisent le travail de deuil en rattachant l’enfant mort à sa famille et à ses racines. Or les soignants craignent de ne pas connaître le contexte culturel auquel appartient la famille et d’avoir des mots ou des gestes inadaptés, et parfois la famille n’ose pas, ne peut pas ou ne souhaite pas décrire ce contexte. Nous essayerons de différencier ce qui relève de la culture et ce qui relève de la religion et nous tenterons d’identifier les points de désaccord potentiel entre médecins, équipe et famille. La recherche du possible avec les parents passe par l’ouverture d’un espace de liberté qui n’est pas limité par nos propres présupposés culturels et religieux. S’approprier certains concepts de l’anthropologie médicale permet aux soignants de comprendre plus simplement les obligations auxquelles sont soumis les parents et d’accéder à leurs souhaits. Parfois il faut avoir recours aux médiateurs, aux interprètes, aux ethno-psychologues et aux religieux pour appréhender cette réalité.

Summary

The period of palliative care is a difficult time for parents and caregivers because they are all weakened by the proximity of death. First of all, because of religious and cultural differences, parents and families cannot easily express their beliefs or the rituals they are required to develop; second, this impossibility results in conflicts between the caregiver team and the family with consequences for both. Caregivers are concerned to allow the expression of religious beliefs and cultural demands because it is assumed that they may promote the work of mourning by relating the dead child to its family and roots. However, caregivers’ fear not knowing the cultural context to which the family belongs and having inappropriate words or gestures, as sometimes families dare not, cannot, or do not wish to describe their cultural background. We attempt to differentiate what relates to culture and to religion and attempt to identify areas of potential disagreement between doctors, staff, and family. Everyone has to work with the parents to open a space of freedom that is not limited by cultural and religious assumptions. The appropriation of medical anthropology concepts allows caregivers to understand simply the obligations imposed on parents by their culture and/or their religion and open access to their wishes. Sometimes help from interpreters, mediators, ethnopsychologists, and religious representatives is needed to understand this reality.

Introduction

La mort au début de la vie soulève évidemment des problèmes particuliers. Le sens que les parents et les soignants donnent à cette mort est variable. La mort n’est pas un fait intime et si la mort se vit seule, le deuil, lui, est toujours collectif. Le fait que la mort survienne après une période de soins palliatifs change son sens. L’intégration des parents dans le processus de décision induit aussi des particularités à prendre en compte. Le souci des soignants est de permettre aux croyances religieuses et aux exigences culturelles de s’exprimer car ils pressentent qu’elles favorisent le travail de deuil en rattachant l’enfant mort à sa famille et à ses racines.

Bien souvent les soignants craignent de ne pas connaître le contexte culturel auquel appartient la famille et d’avoir des mots ou des gestes inadaptés ; parfois la famille n’ose pas, ne peut pas ou ne souhaite pas décrire ce contexte, soit à cause de la barrière de la langue, de la sidération qui accompagne le diagnostic ou le décès, de la crainte d’être (mal) jugée ou même parce que l’émigration a entraîné une rupture avec le sens des rites voire une volonté de détachement de ceux-ci. Parfois au contraire, l’émigration provoque une intensification des croyances qui deviennent plus contraignantes qu’au pays. Dans les jeunes générations, les attitudes sont contrastées : l’acculturation européenne peut entraîner une perte des rites et des codes tandis que l’adaptation au système européen amène à transgresser les interdits traditionnels. Cette transgression peut être constitutive du deuil pathologique. Dans certains cas, chez les sujets enracinés en France, la mort d’un enfant fait ressortir l’aspect culturel comme identité. Il peut y avoir de ce fait une demande importante de reconnaissance culturelle parfois difficile à satisfaire [1].

Section snippets

Culture et religion

Il y a peu d’écrits sur la mort du nouveau-né en soins palliatifs. Il existe des articles consacrés à l’adulte et des articles consacrés aux rituels de fin de vie et aux rites funéraires en fonction des principales religions connues [2], [3], [4], [5]. Le rite est une pratique réglée collective et transmise qui a souvent un caractère sacré et porte toujours une dimension symbolique permettant de passer du sensible au sens (Catherine Legrand-Sébille). Il s’exprime dans des rituels.

Comprendre et

Comment notre discours doit s’adapter aux cultures

Ces connaissances religieuses, culturelles et anthropologiques peuvent être précieuses si l’on exerce dans un lieu où les croyances sont bien affirmées. En métropole, la situation est plus délicate car on est confronté à des cultures et des religions différentes et déracinées, ce qui peut modifier considérablement leur expression. La solution est de discuter avec les familles ou avec des médiateurs qui peuvent nous apprendre les codes anthropologiques sur la façon de parler et de se comporter

Rôle du contexte religieux et culturel dans la reconnaissance de l’obstination déraisonnable

Cette question a été récemment abordée dans la revue « Early Human Development » sous forme d’une série d’articles construits religion par religion ; ont ainsi été exposés les points de vue religieux sur le retrait des traitements de support vital dans les religions musulmane, hindou, chrétienne et juive [5], [6], [7], [8]. Toutes ces religions s’opposent à l’euthanasie. Toutes sont d’avis de peser la relation entre le bienfait apporté par les traitements et les douleurs ou contraintes qu’ils

Magie, sorcellerie, « médecines parallèles »

S’il est fréquent et plutôt facilement admis dans les services que les parents installent, durant la période de soins intensifs puis de soins palliatifs, des objets religieux dans les couveuses (chapelets, médailles, statuettes, Coran, prières recopiées), il arrive de rencontrer des pratiques qu’on peut difficilement relier à une culture ou une religion précise. Nous avons vu par exemple des « pièges à rêves ou à esprits » au-dessus d’une couveuse dans une famille non amérindienne. Ailleurs,

Le rôle des consultations ethno-cliniques

C.M. a rapporté une très intéressante observation de fin de vie chez un petit garçon de famille algérienne musulmane atteint d’amyotrophie spinale infantile au Congrès de soins palliatifs pédiatriques de Montréal en octobre 2012. La dégradation de l’état de santé de l’enfant avait provoqué des transes chez la mère. Les consultations répétées de la psycho-ethnologue avaient permis de rattacher la pathologie à un « diagnostic d’étiologie traditionnel ». Le personnel soignant avait pu laisser agir

Problèmes posés par les croyances du personnel médical et soignant

La médecine se veut empreinte de raison, c’est un art qui aimerait bien être une science. Rappelons pourtant que moins de 20 % des décisions médicales reposent sur « la médecine fondée sur les preuves ». Quatre-vingt pour cent de notre activité est empirique. Nous ne sommes jamais dans une démarche purement rationnelle. Dans les situations de fin de vie et de soins palliatifs aussi, les médecins et les infirmières sont eux-mêmes l’objet de conflits internes liés à leur culture et à leur

Conclusion

À l’hôpital comme dans la vie, nous sommes en permanence au centre d’un bouillonnement culturel et religieux que nous ne percevons pas toujours quand « tout va bien ». Dans les périodes de crise, mort, naissance, décisions difficiles à prendre, nous repérons plus facilement les différences culturelles et leurs impacts. Nous avons plus de difficultés à percevoir ce qui, dans notre attitude, relève de notre culture ou de notre religion. La laïcité, comme la démocratie, sont des idéaux, certains

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Remerciements

Les auteurs remercient Sophie Parat et Serge Bouznah pour leur aide dans la réalisation de ce travail.

Références (12)

There are more references available in the full text version of this article.

Cited by (10)

  • Palliative care: Cloaking the newborn from suffering

    2021, Caring for the Newborn: A Comprehensive Guide for the Clinician. Second Edition
  • Cloaking the newborn from suffering

    2020, Journal of Pain Management
View all citing articles on Scopus

Travail présenté aux XLIIIe Journées nationales de néonatalogie 2013, Paris, 21–22 mars 2013.

View full text